Sécurité nationale et intelligence stratégique en Haïti : au-delà de l’action policière

Sécurité nationale et intelligence stratégique en Haïti : au-delà de l’action policière

Par Bleck D Desroses, professeur de géopolitique  

La sécurité nationale constitue l’une des fonctions régaliennes de l’État et représente une condition préalable à la stabilité politique et au progrès socio- économique. Dans un contexte marqué par la prolifération de groupes criminels organisés, cette fonction ne peut être appréhendée sous l’angle exclusif de l’action policière. Comme le souligne Thomas Hobbes, « la raison principale pour laquelle les hommes instituent l’État est la garantie de leur sécurité ». Cette mission dépasse le cadre des opérations de la police, laquelle n’intervient qu’en aval d’un dispositif sécuritaire plus large, fondé sur la planification stratégique, le renseignement, la coordination interinstitutionnelle et l’anticipation des menaces.

Dans le cas d’Haïti, l’émergence et la consolidation d’organisations criminelles structurées, telles que Viv Ansanm, mettent en évidence les limites d’une approche fragmentée et essentiellement réactive ou improvisée de la sécurité publique. L’absence d’une vision nationale cohérente, intégrant les dimensions territoriale, sociale, économique et géopolitique, affaiblit la capacité de l’État à exercer son autorité et à protéger efficacement les citoyens. Dès lors, l’élaboration d’un plan national de sécurité, reposant sur une expertise multidisciplinaire et une architecture stratégique clairement définie, apparaît comme la condition indispensable à la restauration de l’ordre public et de la souveraineté étatique.

Dans tout dispositif de sécurité d’un État, la police constitue le dernier maillon. À elle seule, elle ne peut porter l’entière responsabilité de la lutte contre des organisations criminelles structurées comme Viv Ansanm en Haiti. La sécurité nationale est trop précieuse et trop complexe pour être abandonnée exclusivement aux forces policières. 

La première étape incontournable consiste en l’élaboration d’un plan national de sécurité, conçu par des experts en sécurité publique, des géographes, des spécialistes en géopolitique et en géostratégie, mais aussi par des sociologues et des juristes, afin de tenir compte des réalités sociales, territoriales et institutionnelles propres à Haïti.

Ce plan national doit définir des objectifs clairs, hiérarchisés et réalistes. Il doit notamment inclure une stratégie de reprise graduelle des zones contrôlées par les groupes criminels, en tenant compte de la densité urbaine, de la configuration des quartiers, des axes routiers, des zones sensibles et de la présence des populations civiles. Comme l’écrivait le grand stratège chinois, Sun Tzu, « celui qui connaît le terrain et connaît son ennemi ne sera jamais vaincu ». Une reconquête improvisée ou mal planifiée expose inutilement les forces de l’ordre et les civils à des pertes évitables.

Un autre pilier fondamental de toute politique sécuritaire efficace est l’existence d’un service de renseignement performant. Le renseignement constitue le socle de l’action stratégique. Selon Carl von Clausewitz, « la guerre repose sur l’information, mais celle-ci est souvent incertaine ». D’où la nécessité non seulement de collecter des informations, mais aussi de les analyser, de les recouper et de les contrebalancer afin d’en évaluer la fiabilité avant toute transmission aux autorités décisionnelles.

Une fois traitées, ces informations doivent être transmises aux instances supérieures compétentes, qui les mettent à la disposition des forces armées et de la police nationale. Ce processus garantit que les opérations reposent sur des données vérifiées, fiables et non sur des intuitions ou des rumeurs. Michel Foucault rappelait que « le pouvoir s’exerce à travers le contrôle de l’information » : sans maîtrise du renseignement, l’État agit à l’aveugle.

Sur la base de ces renseignements, la police peut alors élaborer des plans d’intervention spécifiques, adaptés à chaque zone géographique et à chaque quartier sous l’emprise des bandes criminelles. Ces plans doivent préciser le type d’unités engagées, les moyens logistiques nécessaires, les équipements adaptés et les règles d’engagement. Il ne s’agit pas d’une approche uniforme, mais d’une stratégie différenciée selon les réalités locales.

Le jour des opérations, le commandant en chef doit réunir ses troupes afin de présenter clairement le plan d’intervention, le positionnement de chaque unité sur le terrain et la responsabilité de chaque agent impliqué. La clarté des ordres et la discipline opérationnelle sont essentielles. À ce sujet Max Weber est catégorique, l’efficacité de l’État repose sur une organisation rationnelle et hiérarchisée de l’action publique.

Toute opération policière doit également intégrer une analyse approfondie des risques, y compris les éventuels dommages collatéraux. La protection des civils doit demeurer une priorité absolue dans un État démocratique. Il est impératif de se fixer des objectifs clairs, mesurables et atteignables, afin d’éviter des engagements prolongés sans résultats concrets.

Il est profondément regrettable de constater qu’en Haïti dans le cadre de la lutte contre l’insécurité, les policiers sont souvent envoyés au combat sans renseignement fiable, sans dispositif stratégique cohérent et parfois sans matériels adaptés, au péril de leur vie. Une telle situation traduit la défaillance structurelle de l’État et une confusion entre courage individuel et responsabilité institutionnelle. En témoigne l’échec des opérations policières à Village de Dieu en mars 2021 et dans l’Artibonite en janvier 2023.
En définitive, la sécurité d’un pays est l’affaire des experts et des institutions, non celle d’un seul corps. Elle exige une panoplie de compétences, une vision stratégique et une volonté politique ferme. Comme le résumait Sun Tzu, « la stratégie sans tactique est le chemin le plus lent vers la victoire ; la tactique sans stratégie est le bruit avant la défaite ». Pour Haïti, restaurer la sécurité passe d’abord par la restauration de l’intelligence stratégique de l’État.

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