Marnatha Ternier : Ces jeunes médecins qui défilent la peur et la nuit : Haiti debout

Marnatha Ternier : Ces jeunes médecins qui défilent la peur et la nuit : Haiti debout

Il arrive, dans l’histoire tourmentée d’un peuple, des moments où la lumière refuse de s’éteindre.

Des instants fragiles, mais denses, où le courage se dresse comme un pilier au milieu des ruines.

Ce dimanche 7 décembre 2025 fut de ces moments-là.

Dans l’enceinte d’un hôpital où l’on combat chaque jour la mort et la misère, a eu lieu la graduation de vingt-six nouveaux médecins spécialistes : orthopédistes, pédiatres, anesthésiologistes, chirurgiens, gynécologues-obstétriciens et internistes. Une promotion entière de savoir, de discipline et de sacrifice. Une véritable armée de la vie dans un pays qui, trop souvent, ne connaît plus que le langage du fer et du feu.

Pendant que des écoles brûlent, que des universités se vident sous la menace, pendant que des familles entières fuient les balles pour protéger leurs enfants, Haïti, ce jour-là, a choisi de se tenir debout.

Debout par la science.

Debout par la foi humaine.

Debout par la beauté du devoir.

Une cérémonie comme une respiration nationale

La salle de conférence de l’hôpital universitaire de La Paix, Delmas 33, décorée avec soin, vibrait de larmes, de rires, d’applaudissements : un mélange rare d’espoir et de mémoire blessée.

On y sentait la fierté nue des familles, l’amour. Un amour pur, têtu, ancestral pour ses enfants devenus médecins.

La présence du Dr Alex Larsen, ancien ministre de la Santé, avançant en fauteuil roulant mais debout dans l’esprit, fut un symbole éclatant : la République d’Haïti se ploie sous des crises qui n’en finissent pas, mais elle a encore des exemples.

Aux côtés du Dr Larsen, le maire de Delmas, Wilson Jeudy, le directeur général du MSPP Dr Gabriel Timothée, des représentants de l’OMS/OPS, et des figures majeures du corps médical.

Tous réunis pour célébrer la résistance la plus noble : celle qui choisit de soigner un pays qui souffre, même quand ce pays semble vous abandonner.

Une plaque d’honneur a été remise au Dr. Jean Phillipe Lerbourg, directeur médical, pour son leadership. Dans ce pays où tant de cadres fuient, où tant d’institutions se fissurent, il rappelait par sa seule présence qu’un pilier qui tient suffit parfois à empêcher tout un bâtiment de s’effondrer.

Entre les discours, les voix innocentes d’un petit groupe d’enfants, « Les petits serviteurs de l’Assemblée Baptiste Fondamentale », ont chanté, et soudain Haïti semblait respirer à nouveau.

Ces voix, si jeunes, prouvaient que même dans l’obscurité, quelque chose pousse encore : la promesse.

Quand la médecine devient résistance

Ces nouveaux médecins représentent plus qu’une élite intellectuelle. Ils sont les témoins vivants de la résilience haïtienne. Ils incarnent ce qui permet encore à la nation de ne pas tomber entièrement : le refus de renoncer.

Leur formation fut une véritable traversée du désert. Quatre années d’insécurité, de routes bloquées, de tirs perdus, de nuits d’angoisse. Ils ont choisi, chaque matin, de marcher vers les hôpitaux alors que d’autres cherchaient où se cacher. Ils ont choisi d’apprendre à sauver, pendant que d’autres apprenaient à fuir.

Le moment le plus bouleversant fut sans doute celui où le Dr Bartnz François, chirurgien et artiste, s’est assis au piano. Ses doigts, habitués à recoudre la chair, ont laissé couler une mélodie capable de recoudre l’âme. La salle, suspendue, a compris que la médecine, pour être entière, doit savoir aussi guérir l’invisible.

Platon disait:« La musique est la médecine de l’âme. » Ce jour-là, Haïti a senti qu’elle avait bien plus besoin encore de ces deux médecines réunies.

Le destin singulier du Dr Carl Stéphane Lominy

Dans cette promotion, le parcours du Dr Carl Stéphane Lominy s’est détaché comme une étoile dans la nuit. Enfant unique d’une mère célibataire, Carline Lominy, vêtue ce jour-là d’un vert éclatant qui symbolise la couleur de l’espérance. Dr Lominy personnifiait la victoire de toutes les mères haïtiennes qui se battent seules, qui se saignent, qui se privent, pour qu’un jour leur enfant marche plus loin qu’elles.

Ses collègues ne tarissent pas d’éloges : humanité, empathie, éthique, professionnalisme.

Il répète que sa vocation n’est pas un privilège, mais « un héritage offert à l’humanité ».

Et dans un pays où tant de talents s’exilent, cette phrase prend le poids d’un serment.

Pendant quarante-huit mois, Dr Lominy a marché vers le danger pour aller sauver ceux qui n’en avaient plus la force.

Un héros tranquille.

Un fils d’Haïti.

Un homme debout.

Une génération qui refuse la chute

Ces jeunes médecins sont plus qu’une promotion : ils sont la preuve vivante que le pays n’est pas mort.

À l’hôpital universitaire la Paix où souffle l’espoir, ils témoignent que malgré le chaos, malgré l’absence d’État, malgré les gangs qui délogent les universités, malgré les nuits coupées de cris, Haïti n’a pas encore dit son dernier mot.

Ils l’ont fait pour leurs familles.

Ils l’ont fait pour leurs patients.

Ils l’ont fait pour ce peuple qui, parfois, n’a rien d’autre que son courage.

Aux parents, surtout, Haïti doit un merci immense.

Vous avez enfanté l’avenir en silence.

Vous avez enseigné le pays par l’exemple.

Vous avez transmis ce qui sauve :

l’amour du prochain,

l’amour du savoir,

l’amour de la dignité.

Le chemin qui s’ouvre

Aristote nous rappelle : « Là où les besoins du monde rencontrent vos talents, là se trouve votre vocation. »

Chers médecins, vos talents rencontrent aujourd’hui le besoin le plus urgent de cette nation : vivre.

Vous voici devenus :

les combattants de l’espérance,

les gardiens de la vie,

les architectes du futur d’Haïti.

Et même si le pays chancelle, même si la nuit semble interminable, votre génération construit déjà l’aube.

Haïti n’est pas à terre.

Elle se relève en vous.

Elle respire en vous.

Vous êtes l’avenir.

Allez, maintenant.

La nation vous attend.

Marnatha I. TERNIER

8 Decembre 2024

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