Haïti – Analyse | The New Humanitarian : la nouvelle Force de répression des gangs (GSF) face à l’impasse sécuritaire
Après l’échec de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MSS), dirigée par le Kenya, à enrayer la dégradation rapide de la situation sécuritaire en Haïti, le Conseil de sécurité des Nations unies a approuvé, le 30 septembre 2025, la résolution 2793 instituant une nouvelle Force de répression des gangs (Gang Suppression Force – GSF). Présentée comme un dispositif au mandat renforcé, cette force suscite toutefois de profondes interrogations quant à son financement, sa composition, son articulation avec les forces haïtiennes et ses conséquences humaines, dans un pays déjà confronté à une crise sécuritaire et humanitaire d’une ampleur exceptionnelle.
Qui financera cette force ? De quels pays proviendront les troupes ? Comment se coordonnera-t-elle avec la police et les autres acteurs ? Quel rôle jouera la flotte privée de drones d’Erik Prince ? Autant de questions qui entourent la nouvelle Force de répression des gangs (Gang Suppression Force – GSF) en Haïti.
Après l’échec de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MSS), dirigée par le Kenya, à enrayer la détérioration rapide de la situation sécuritaire, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, le 30 septembre, la résolution 2793, prévoyant le remplacement de la MSS par une nouvelle force.
Destinée à compter à terme 5 500 policiers et militaires, la GSF a officiellement commencé à opérer deux semaines plus tard, mais dépend pour l’instant du contingent d’environ 1 000 membres de la MSS déployés l’an dernier.
Autorisée par l’ONU, la MSS avait pour mandat d’appuyer la Police nationale d’Haïti (PNH) afin de rétablir la sécurité, deux ans après l’assassinat du président Jovenel Moïse, qui avait plongé Port-au-Prince dans un cycle aggravé d’anomie. Les États-Unis s’étaient engagés à fournir 600 millions de dollars, engagement resté insuffisant, tandis que d’autres États n’ont pas honoré leurs promesses financières ou humaines.
« La MSS n’a jamais disposé des moyens nécessaires à l’exécution de son mandat. Elle devait compter jusqu’à 2 500 personnels ; elle en a péniblement atteint 1 000. L’équipement faisait défaut, et elle était inférieure en puissance de feu comme en financement », confie à The New Humanitarian une source diplomatique caribéenne, sous couvert d’anonymat. « Nous ne pouvons qu’espérer que la GSF bénéficiera des financements et des effectifs mentionnés dans la résolution du Conseil de sécurité. »
Un communiqué publié sur le compte X de la nouvelle force indique que la transformation de la MSS en GSF « tire les enseignements de la mission MSS » et affirme que la GSF opère désormais sous un mandat « plus robuste ».
Cependant, des experts, en Haïti comme à l’étranger, estiment que les informations disponibles demeurent insuffisantes pour évaluer les changements réels que la GSF pourrait apporter. Nombre d’entre eux redoutent qu’elle ne se heurte aux mêmes obstacles que la mission précédente, voire qu’elle n’aggrave les tensions.
Ce dossier examine ce que l’on sait de cette nouvelle force, les défis à venir et les implications pour une population haïtienne confrontée à l’une des crises humanitaires les plus graves au monde.
Quelle est la situation actuelle en Haïti ?
Depuis le déploiement de la force dirigée par le Kenya, la situation sécuritaire a continué de se détériorer. Selon le dernier rapport trimestriel du BINUH, au moins 4 388 personnes ont été tuées par des violences de gangs entre janvier et septembre. Les groupes armés étendent leur contrôle territorial ; près de 1,4 million de personnes sont déplacées ; et plus de la moitié d’une population estimée à près de 12 millions d’habitants est en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Début octobre, Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l’ONU, indiquait que 6 450 cas de violences sexuelles et sexistes avaient été recensés entre janvier et août, dont la moitié des viols. Dans 75 % des cas, les gangs étaient les auteurs, et 70 % des survivants étaient des personnes déplacées.
L’acheminement de l’aide humanitaire devient également de plus en plus difficile.
« Les conditions de travail se dégradent fortement, notamment depuis l’enlèvement de travailleurs de l’UNICEF par un gang en juillet », explique Jean-Marc Biquet, responsable de Médecins Sans Frontières en Haïti. « La peur est généralisée ; plus personne ne veut se rendre dans les zones dangereuses. »
Que sait-on de la nouvelle Force de répression des gangs ?
Comme la MSS, la GSF n’est pas une mission classique de maintien de la paix des Nations unies, mais une force autorisée par l’ONU, opérant en concertation avec le gouvernement haïtien. Elle s’en distingue toutefois sur plusieurs points.
La GSF bénéficiera du soutien opérationnel et logistique d’un Bureau d’appui des Nations unies en Haïti (UNSOH), encore à mettre en place à Port-au-Prince, fournissant carburant, eau, hébergement, infrastructures, appui médical et capacités de mobilité — un soutien dont la MSS ne disposait pas.
Contrairement à la MSS, essentiellement composée de policiers et chargée d’appuyer la PNH, la GSF sera largement militarisée et autorisée à opérer indépendamment du commandement de la police haïtienne.
Peu avant l’adoption de la résolution, Henry Wooster, chargé d’affaires à l’ambassade américaine en Haïti, déclarait que le mandat enjoignait la GSF « à traquer les gangs et à les poursuivre par la force létale », ajoutant que la nouvelle force disposerait d’une « liberté de manœuvre ».
La résolution 2793 prévoit notamment des opérations ciblées fondées sur le renseignement, visant à neutraliser, isoler et dissuader les gangs, la sécurisation d’infrastructures stratégiques, ainsi que le soutien à la PNH, aux Forces armées haïtiennes et aux institutions nationales afin de créer les conditions sécuritaires nécessaires aux élections et à l’accès humanitaire.
Le système de commandement et de redevabilité diffère également : la GSF comprendra 50 civils, auxquels rendront compte les troupes. Aucune information n’a été communiquée quant à leur nationalité ou à leurs fonctions exactes.
La supervision stratégique sera assurée par un Groupe permanent de partenaires, réunissant notamment les États-Unis, le Canada, le Kenya, les Bahamas, la Jamaïque, le Guatemala et le Salvador. Le 1er décembre, ce groupe a désigné Jack Christofides, haut responsable onusien, comme représentant spécial de la force.
L’Organisation des États américains (OEA) jouera aussi un rôle spécifique. En août, elle a présenté une Feuille de route pour la stabilité et la paix en Haïti, coordonnée avec la CARICOM et l’ONU.
« L’OEA a été sollicitée pour contribuer à la conception stratégique globale de la GSF », a indiqué le secrétaire général Albert Ramdin, précisant que l’organisation fournira un appui ciblé incluant vivres, eau, carburant, transport, tentes, équipements de défense et moyens de communication.
Qui financera la force ?
La GSF bénéficiera partiellement de fonds onusiens via l’UNSOH, mais ces ressources demeurent insuffisantes. Le financement repose majoritairement sur des contributions volontaires, ce qui pourrait retarder le déploiement effectif au-delà du 7 février 2026, date de fin du mandat du Conseil présidentiel de transition.
« Il s’agit d’un modèle hybride », explique William O’Neill, expert indépendant de l’ONU sur les droits humains en Haïti. « Trois questions majeures se posent : d’où viendra l’argent ? d’où viendront les effectifs ? et combien de temps faudra-t-il ? »
Le fonds fiduciaire onusien n’a recueilli jusqu’ici que 113 millions de dollars, largement en deçà des besoins estimés.
Les drones, un sujet de forte inquiétude
Le recours aux drones, notamment via un accord passé avec Erik Prince et sa société Vectus Global, suscite de vives préoccupations. Selon plusieurs sources, ces opérations auraient causé la mort d’au moins 32 civils, dont des enfants, en 2025.
« Ma crainte est que des civils soient blessés, que des innocents meurent », avertit Wolf Pamphile, directeur du think tank Haiti Policy House.
Les organisations humanitaires redoutent une banalisation des frappes en zones densément peuplées, accentuant les risques pour les civils.
Vers une escalade de la violence ?
Selon le BINUH, plus de 60 % des victimes liées aux gangs entre juin et septembre ont péri lors d’opérations de sécurité. La présence simultanée de multiples acteurs armés — police, forces internationales, gangs, groupes d’autodéfense et sociétés militaires privées — accroît l’imprévisibilité.
La crainte demeure qu’une hausse des pertes civiles, notamment parmi les mineurs, n’alimente une mobilisation hostile à la GSF et ne renforce la propagande des gangs.
Et la voix des Haïtiens ?
Si la GSF s’inscrit dans une stratégie de transition soutenue par l’OEA, la CARICOM et l’ONU, de nombreux acteurs locaux dénoncent un déficit de consultation de la société civile haïtienne.
« Ce n’est pas uniquement une question militaire, mais aussi politique, sociale et institutionnelle », souligne l’ancien commandant Rébu. « La racine du problème réside dans la pauvreté structurelle et l’absence d’investissement dans l’emploi, l’éducation et la santé. »
source: The New Humanitarian
J’aime ça :
chargement…




