Haïti – La transition face au risque de réhabilitation d’un pouvoir exécutif concentré entre les mains d’un seul homme jamais élu

Haïti – La transition face au risque de réhabilitation d’un pouvoir exécutif concentré entre les mains d’un seul homme jamais élu

L’Edito du Rezo

Haïti – La transition face au risque de réhabilitation d’un pouvoir exécutif concentré

L’expérience du pouvoir exécutif entre juillet 2021 et avril 2024 demeure associée à une phase prolongée de paralysie institutionnelle, au cours de laquelle l’autorité de l’État s’est fragmentée au rythme de l’expansion des « territoires perdus ». Le gouvernement dirigé par Ariel Henry, Premier ministre non issu d’un processus électoral, a exercé dans un cadre de légitimité précaire, marqué par une centralisation de fait du pouvoir exécutif. Cette période a été traversée par de lourdes controverses politiques et judiciaires, nourries par des soupçons persistants de collusion avec des groupes armés et par la présence de son nom dans le contexte de l’enquête sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, sans que la justice n’ait, à ce jour, établi de responsabilités définitives.

C’est précisément pour rompre avec cette configuration d’un exécutif solitaire, durablement installé par défaut et dépourvu de légitimité électorale directe, que l’Accord politique du 3 avril 2024 a été élaboré. Ce texte entendait instituer un mécanisme transitoire de discontinuité, fondé sur la collégialité et la limitation du pouvoir personnel. Toutefois, sa mise en œuvre a rapidement révélé une autre forme d’impasse : un exécutif à neuf têtes, fortement consommateur de ressources publiques, dont la dispersion décisionnelle a favorisé une nouvelle inertie. Loin de contenir les dérives antérieures, corruption et impunité se sont recomposées sous une architecture institutionnelle différente, devenant des paramètres ordinaires de la gouvernance transitoire.

Dans ce contexte, le président du Conseil présidentiel de transition, Laurent Saint-Cyr, un pigeon-voyageur, a effectué une visite officielle à Washington, selon un communiqué du Bureau de communication de la Présidence, afin de solliciter un renforcement de l’appui international à la sécurité et au processus de transition démocratique. Les rencontres avec des responsables de l’Organisation des États américains (OEA) et des partenaires bilatéraux ont été présentées comme une séquence diplomatique significative. Toutefois, à l’issue de ce déplacement, aucune information précise n’a été communiquée sur la nature des engagements opérationnels obtenus ni sur les échéances internes susceptibles d’en découler, alors même que le calendrier électoral demeure indéterminé et que l’existence alléguée d’environ 800 000 doublons dans le registre électoral fragilise d’emblée la crédibilité du processus.

L’OEA, acteur central de l’ingénierie électorale haïtienne depuis plusieurs décennies, a pour sa part réaffirmé son attachement à une transition strictement encadrée par une feuille de route claire, conforme à l’Accord du 3 avril 2024. Cette position s’inscrit néanmoins dans une mémoire institutionnelle controversée, l’organisation ayant été associée, selon de nombreuses analyses critiques, à la supervision du processus électoral de 2011 ayant conduit à l’accession de Michel Martelly au pouvoir. Le texte de 2024 fixe pourtant des paramètres explicites : absence de prorogation implicite du mandat transitoire, refus d’une délégation durable à un exécutif unipersonnel et primauté du retour à l’ordre constitutionnel par la voie électorale.

Malgré ces rappels de principe, la réalité sécuritaire demeure largement inchangée. La Force multinationale de soutien à la sécurité, présentée comme le principal levier de stabilisation, n’a pas encore permis de restaurer un contrôle effectif de l’État dans les zones dominées par des groupes armés. Les éléments de langage mobilisés rappellent ceux qui accompagnaient déjà les appels à une force « robuste » sous le gouvernement précédent. Cette continuité discursive, conjuguée à l’absence de progrès tangibles vers des élections, ravive la crainte d’une transition qui se prolonge par inertie, reproduisant, sous des formes institutionnelles renouvelées, les blocages du passé.

L’enjeu fondamental ne réside donc ni dans l’activisme diplomatique ni dans l’accumulation des soutiens internationaux affichés, mais dans la fidélité effective aux engagements librement souscrits. À l’approche de l’échéance du 7 février 2026, la perspective d’un retour à une concentration du pouvoir exécutif entre les mains d’un seul homme, jamais soumis au suffrage populaire, demeure plausible et c’est là que le bas blesse. La transition haïtienne se trouve ainsi placée devant une alternative décisive : traduire l’Accord du 3 avril 2024 en règles effectives ou accepter que l’exception transitoire se fossilise, une fois encore, en mode ordinaire de gouvernement.

À défaut d’une mise en œuvre rigoureuse de l’architecture transitoire qu’ils ont eux-mêmes consacrée, les dirigeants haïtiens risquent de transformer un mécanisme conçu pour limiter le pouvoir en un nouvel instrument de sa reconcentration, vidant la transition de sa finalité politique et de sa portée institutionnelle.

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