À huit semaines de l’échéance du 7 février 2026, la transition haïtienne apparaît plus fragile que jamais. Nommé pour incarner un tournant historique, le Premier ministre Didier Fils-Aimé, qui a remplacé Dr Gary Conille au pied levé, se retrouve aujourd’hui au centre d’un constat d’échec largement partagé : les grands chantiers censés stabiliser la nation n’ont pas été enclenchés, ou l’ont été avec une lenteur incompatible avec l’urgence.
Une pacification qui n’a jamais commencé
La mission première du gouvernement de transition était de ramener un minimum de sécurité dans un pays où des centaines de milliers de personnes vivent sous la menace d’acteurs armés.
Malgré des discours volontaristes, aucune stratégie nationale intégrée n’a été rendue publique. Les opérations ponctuelles n’ont pas compensé l’absence d’un plan cohérent pour sécuriser les axes, protéger les écoles, rétablir les marchés et permettre la reprise des activités essentielles. Les populations ne voient toujours pas de changement tangible.
La Conférence nationale, naufrage d’un engagement central
Le gouvernement Fils-Aimé avait fait du dialogue national la clé de la réconciliation. Cette “Conférence nationale”, censée rassembler les forces vives du pays, n’a jamais dépassé le stade d’annonce.
Sans comité indépendant, sans méthodologie, sans calendrier, sans médiation neutre, le projet s’est volatilisé dans le brouillard institutionnel. Les acteurs civils et politiques attendent encore la moindre indication sur ses modalités ou ses objectifs.
Les déplacés internes : une crise humanitaire ignorée
Plus de 300 000 déplacés internes survivent toujours dans des conditions indignes. La transition devait répondre par un programme massif de relogement, articulé avec la sécurisation des quartiers abandonnés et un appui social durable.
Aucune politique structurée n’a vu le jour : seulement quelques interventions symboliques. La crise des déplacés demeure l’illustration la plus douloureuse de l’impuissance de l’État.
L’économie sans impulsion, les acteurs privés livrés à eux-mêmes
La transition devait relancer une économie paralysée. Ni plan de relance, ni mesures fiscales ciblées, ni stratégie agricole ou industrielle n’ont été présentés.
Le pays continue d’avancer à l’aveugle : inflation persistante, marché intérieur désarticulé, insécurité décourageant tout investissement, infrastructures délabrées.
En l’absence de vision gouvernementale, c’est l’ensemble du tissu productif qui s’effrite un peu plus.
La corruption : un fléau laissé à lui-même
L’un des engagements les plus attendus — combattre la corruption — s’est transformé en déception majeure.
Alors que les institutions de contrôle alertent sur l’augmentation des pratiques illicites, aucune réforme significative n’a été menée : pas de renforcement des audits publics, pas de mécanismes de traçabilité financière, pas de sanctions administratives ou judiciaires visibles.
Les réseaux clientélistes prospèrent, l’opacité demeure la règle, et l’État continue de perdre ses maigres ressources budgétaires, au moment même où il affirme manquer de moyens pour sécuriser, reloger ou investir.
Cette inertie alimente un sentiment d’impunité qui mine la confiance publique et désorganise totalement la gouvernance.
Élections : un calendrier désormais irréaliste
L’engagement d’organiser des élections avant le 7 février 2026 apparaît aujourd’hui impossible à tenir.
Le Conseil Électoral Provisoire n’a pas été reconstitué à temps, le registre électoral n’a pas été mis à jour, et la sécurité des opérations électorales n’est pas garantie.
Le pays s’achemine vers une nouvelle crise de légitimité institutionnelle.
Un leadership en échec
À ce stade, l’échec du Premier ministre Didier Fils-Aimé ne s’explique pas seulement par la profondeur des crises structurelles du pays.
Il découle aussi d’un manque de méthode, d’une absence de priorisation et d’une incapacité à mobiliser l’État autour d’un cap clair.
La transition avait besoin d’une vision stratégique, de décisions rapides et d’un suivi rigoureux. Elle n’a obtenu que des déclarations fluctuantes et une gouvernance hésitante.
L’urgence d’un sursaut
Haïti ne peut plus se permettre une transition immobile.
Sans plan opérationnel, sans obligation de résultats, sans lutte réelle contre la corruption — qui saigne les finances publiques — le gouvernement risque de laisser un pays encore plus fragmenté qu’à son arrivée.
La transition devait être un pont.
Elle est en train de devenir un gouffre.
Lyndd J. Jasmin
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