Don Rocher : « Voler l’Etat, n’est pas voler et toutes les choses anciennes sont passées ». Vòlè, vòlè nèt!
Le décret publié la semaine dernière, présenté comme un cadeau de Noël mais vécu comme une offrande empoisonnée au peuple haïtien, par le Conseil présidentiel de transition (CPT), relatif à la Haute Cour de justice, appelle une lecture rigoureuse, tant ses implications excèdent la seule sphère administrative. Sous couvert de normalisation institutionnelle, ce texte affirme que « les choses anciennes sont passées », introduisant une rupture artificielle avec l’ordre juridique existant et substituant à la continuité constitutionnelle une amnésie juridique décrétée.
Le mécanisme institué est juridiquement circulaire. Le CPT se déclare justiciable d’une Haute Cour dont il fixe lui-même la composition, les modalités de saisine et les conditions d’opérabilité. En l’absence de Parlement, pourtant détenteur constitutionnel du pouvoir de mise en accusation, cette juridiction se trouve privée de toute effectivité. Aucun acte de poursuite, aucune instruction, aucune sanction ne peuvent raisonnablement en découler. Le droit pénal de la responsabilité publique se trouve ainsi neutralisé par ceux-là mêmes qui devraient y être soumis.
Cette construction juridico-institutionnelle a pour effet d’exclure toute reddition de comptes relative aux grandes affaires de dilapidation des fonds publics, notamment celles liées au programme PetroCaribe. Les acteurs politiques associés à ces pratiques, parmi lesquels Michel Martelly et Laurent Lamothe, se voient implicitement soustraits à la juridiction ordinaire, au profit d’une instance verrouillée en amont. Le décret ne nie pas les faits : il les rend juridiquement inatteignables. Voler l’État cesse ainsi d’être juridiquement qualifié comme une infraction.
La responsabilité politique de cette orientation incombe aux membres influents du CPT, dont Leslie Voltaire, Edgar Leblanc Fils et Fritz Alphonse Jean, qui ont échoué à engager le pays sur la voie d’une restauration institutionnelle, et qui s’associent désormais à des forces de déliaison nationale pour produire un tel décret, offert comme un présent empoisonné au peuple haïtien. Loin d’inscrire leur action dans la tradition fondatrice du 1er janvier 1804, ils instaurent un régime d’exception permanente où la norme sert à protéger le pouvoir plutôt qu’à le contraindre. Dessalines, Pétion, Christophe auront ainsi œuvré en vain.
Ce décret n’est pas un accident juridique. Il s’inscrit dans une stratégie plus large de verrouillage institutionnel, annonciatrice d’un processus électoral orienté et d’une représentation parlementaire canalisée. La souveraineté populaire se trouve dès lors privée de sa portée effective, réduite à une formalité dépourvue de tout pouvoir de sanction.
Face à cette situation, je salue le peuple haïtien pour sa résilience et son courage. Toutefois, s’il ne se dresse pas pour défendre ses droits fondamentaux, l’histoire retiendra une abdication collective. L’année 2026 ne saurait être celle de la résignation. Il appartient aux juristes, aux médias, aux intellectuels et à tous les détenteurs de moyens de communication d’expliquer, avec rigueur et précision, ce que ce décret consacre réellement : une justice proclamée mais neutralisée, un État affirmé mais irresponsable.
Je ne formulerai pas de vœux de convenance. Le peuple haïtien a reçu un texte juridique qui agit comme un cadeau empoisonné. L’histoire jugera sévèrement ceux qui auront transformé l’impunité en principe de gouvernement. Mon souhait demeure inchangé : courage et combats lucides au peuple haïtien.
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