Bien qu’aucun aléa cyclonique majeur n’ait frappé directement Haïti en 2025, l’absence de coordination nationale en gestion des risques a laissé plusieurs communes sévèrement touchées par des inondations et glissements évitables. Cette situation démontre la nécessité urgente d’un leadership renouvelé, honnête, compétent et responsable à la tête du pays et du Système National de Gestion des Risques et des Désastres. Car, tout dirigeant qui ne produit aucun résultat concret doit être relevé de ses fonctions au nom de la protection du peuple haïtien.
La saison cyclonique 2025 dans l’océan Atlantique nord, officiellement définie par l’Organisation météorologique mondiale du 1er juin au 30 novembre, s’inscrit comme l’une des plus particulières des dernières années, tant par son démarrage tardif que par l’intensité remarquable de plusieurs systèmes. Bien que la période active soit officiellement la même d’année en année, les prévisions tropicales commencent dès le 15 mai et permettent de suivre l’évolution des conditions océan-atmosphériques favorables à la formation des tempêtes. Depuis 2017 et renforcé en 2025, le Centre National des Ouragans des États-Unis – National Hurricane Center (NHC) publie également des avis sur les « cyclones tropicaux potentiels », un dispositif qui permet d’alerter les populations avant même que le système ne se soit totalement organisé. Pour la Caraïbe et particulièrement pour Haïti, ce mécanisme d’alerte constitue une avancée essentielle dans la réduction des risques.
Malgré les prévisions de plusieurs organismes qui anticipaient une saison plus active que la normale en raison des températures océaniques élevées et de conditions atmosphériques propices à la cyclogenèse, la saison 2025 ne s’est véritablement mise en marche que tardivement. Le premier système nommé, Andrea, ne s’est formé que le 23 juin, soit la première entrée en activité la plus tardive depuis 2014, année où l’ouragan Arthur n’était apparu qu’au 1er juillet. Ce retard, inhabituel dans une période de réchauffement climatique où les saisons tendent plutôt à débuter tôt, a initialement donné l’illusion d’une saison faible. Pendant près d’un mois et demi, seulement trois autres tempêtes tropicales se sont formées, toutes de faible intensité, laissant croire que la saison pourrait s’achever dans la moyenne basse.
Ce n’est que le 11 août que la situation a radicalement changé avec la formation de la tempête tropicale Erin près du Cap-Vert. En traversant l’Atlantique tropical, Erin a rapidement gagné en organisation et est devenue le premier ouragan de la saison dès le 15 août. En l’espace de 24 heures, il a atteint le maximum de l’échelle de Saffir-Simpson, touchant brièvement la catégorie 5. Erin n’a pas frappé directement les terres, mais ses bandes périphériques, ses fortes vagues et son onde de tempête ont tout de même causé des dégâts, notamment en haute mer, et laissé un bilan d’au moins dix morts. Pour la région caribéenne, Erin a été le premier rappel sérieux que, malgré un début tardif, la saison 2025 disposait de tout le potentiel pour devenir intense.
Après la courte existence de Fernand, qui a évolué loin des terres habitées, un nouveau calme s’est installé pendant près de trois semaines. Ce hiatus a précédé une véritable poussée d’activité cyclonique à la fin du mois de septembre, lorsque trois ouragans se sont succédé dans l’Atlantique : Gabrielle, Humberto et Imelda. Gabrielle s’est intensifiée jusqu’à la catégorie 4, tout comme Humberto qui, lui, a atteint la catégorie 5. Imelda, quant à elle, a culminé en catégorie 2. Malgré leurs forces respectives, ces trois systèmes ont suivi des trajectoires qui ont permis d’éviter des pertes humaines majeures, un phénomène heureusement fréquent en Atlantique central, où de nombreux cyclones restent en mer sans toucher les terres. Cette période intense a néanmoins démontré la capacité de l’océan Atlantique, particulièrement chaud en 2025, à produire rapidement des ouragans puissants. Elle a également mis en lumière les améliorations des modèles d’intelligence artificielle utilisés pour les prévisions, lesquels ont démontré une précision grandissante dans l’anticipation des trajectoires et des phases d’intensification rapide.
Après ces événements d’une rare intensité, le mois d’octobre n’a pas apporté de répit durable. Trois autres systèmes tropicaux de faible intensité se sont formés, affectant peu ou pas les terres, avant que ne survienne le système qui allait marquer la saison : l’ouragan Melissa. Né à la fin d’octobre, Melissa s’est rapidement intensifié pour devenir un ouragan de catégorie 5, le plus intense de la saison. Avec une trajectoire plus proche des terres habitées, Melissa a frappé durement la Jamaïque, Cuba et les îles Lucayes, causant des dégâts majeurs et un nombre important de victimes. Devenu affaibli, ce système a ensuite poursuivi sa route vers les Bermudes avant de devenir extratropical le 31 octobre. Aucun système ne s’étant développé en novembre, Melissa a mis un terme à la saison cyclonique 2025 dans l’Atlantique nord.
En dépit des prévisions qui laissaient présager une saison supérieure à la normale, le bilan global montre une activité presque conforme aux moyennes historiques en ce qui concerne le nombre de tempêtes nommées. La saison a compté treize systèmes nommés, ce qui se situe dans la moyenne climatologique. Toutefois, elle a été inférieure à la moyenne pour ce qui est du nombre d’ouragans, avec seulement cinq systèmes ayant atteint ce stade. Ce qui distingue véritablement la saison 2025 est son intensité extrême : trois ouragans ont atteint la catégorie 5, un fait exceptionnel. Ce n’est que la seconde fois dans l’histoire de l’Atlantique nord qu’une saison compte trois cyclones tropicaux de catégorie 5, la première ayant été la saison historique de 2005 qui en avait enregistré quatre. Grâce à quatre ouragans majeurs, l’indice d’énergie cyclonique cumulée (ACE) de la saison a atteint 132,5 unités, surpassant la moyenne habituelle qui oscille entre 73 et 126. Ce chiffre démontre que, même avec un nombre modéré de tempêtes, l’énergie totale dégagée en 2025 a été considérablement élevée, signe d’une saison intensément dynamique.
Au total, on dénombre au moins 134 morts, directs et indirects, et plus de onze milliards de dollars américains de dégâts, dont la majeure partie imputable à l’ouragan Melissa. Cette concentration des pertes dans un seul événement rappelle un principe fondamental de la gestion des risques : une saison peut paraître globalement modérée, mais un seul cyclone majeur suffit pour causer un impact dévastateur sur une région. Pour les îles des Caraïbes, et pour Haïti en particulier, cette réalité doit être intégrée dans toutes les stratégies de préparation.
Pour Haïti, la saison cyclonique 2025 n’a pas été marquée par l’impact direct d’un ouragan majeur, mais les effets indirects de plusieurs systèmes ont été significatifs. Les bandes externes d’Erin, les pluies associées aux ondes tropicales de septembre et les périphéries de Melissa ont contribué à saturer les sols, provoquer des inondations localisées et affecter des infrastructures déjà fragiles. Les départements du Sud, de la Grand’Anse, de l’Ouest et du Nord ont connu des inondations récurrentes, tandis que plusieurs zones montagneuses ont enregistré des glissements de terrain, notamment dans l’Artibonite et le Sud-Est. L’impact sur l’agriculture, pilier de survie de nombreuses familles, a été notable, avec des cultures emportées ou pourries par excès d’eau. Dans un pays marqué par la vulnérabilité structurelle, même les événements périphériques peuvent entraîner des conséquences humanitaires importantes.
En analysant la saison 2025 dans son ensemble, plusieurs tendances lourdes se confirment. Tout d’abord, nous observons que les cyclones extrêmes gagnent en fréquence, même lorsque le nombre total de tempêtes demeure conforme à la moyenne. Ceci est cohérent avec les effets du réchauffement climatique, qui augmente la capacité thermique de l’océan et favorise des phases d’intensification rapide. Les cyclones atteignent désormais les catégories les plus élevées en moins de temps, ce qui réduit les fenêtres de préparation pour les populations et les autorités. De plus, la saison 2025 illustre un décalage progressif du pic d’activité. Les systèmes les plus destructeurs, notamment Melissa, se sont formés tardivement en octobre, ce qui laisse penser que la période de risque maximal pourrait graduellement s’étendre dans les années à venir.
Cette saison met également en évidence l’élargissement géographique du risque. Des tempêtes comme Gabrielle ont démontré que les cyclones peuvent désormais menacer des régions éloignées des zones tropicales habituelles, notamment en Europe. Cela montre que les dynamiques atmosphériques évoluent et que les trajectoires classiques des cyclones deviennent plus variées. Pour les pays caribéens, cette variabilité signifie que les modèles historiques ne suffisent plus : il faut intégrer des scénarios plus diversifiés dans la planification.
En tant que Directeur National de Haïti-METEO, je considère que la saison cyclonique 2025 offre des enseignements cruciaux pour notre pays. Haïti demeure l’un des territoires les plus vulnérables aux aléas météorologiques, non seulement en raison de sa position géographique, mais surtout en raison de la fragilité de ses infrastructures, de l’urbanisation non planifiée, de l’érosion massive et de la capacité limitée de réponse d’urgence. Cette saison, bien que relativement clémente en termes d’impacts directs, doit être vue comme une opportunité d’apprentissage et de renforcement.
Plusieurs recommandations stratégiques s’imposent. Il est essentiel de moderniser notre système d’alerte précoce afin que les messages météorologiques soient transmis rapidement, clairement et en langage accessible. La population doit être sensibilisée en continu à la culture du risque, notamment dans les écoles, les églises et les organisations locales. Nous devons également renforcer l’observation communautaire en formant des jeunes volontaires capables de surveiller les rivières, les bassins versants et les zones instables. Sur le plan national, la cartographie des zones à risque doit être mise à jour et intégrée dans les décisions d’aménagement du territoire. La préservation et la restauration des bassins versants, ainsi que le développement d’infrastructures résilientes adaptées aux vents et aux pluies extrêmes, doivent être considérés comme des priorités nationales. Enfin, pour renforcer la sécurité alimentaire, il est impératif de soutenir les agriculteurs affectés par les fortes pluies et les inondations répétées, notamment à travers des programmes de relance agricole et de distribution de semences résistantes.
La saison cyclonique 2025 s’achève donc sur un double constat : l’activité globale a été dans la moyenne en nombre de tempêtes, mais d’une intensité exceptionnelle, marquée par trois ouragans de catégorie 5. Pour Haïti, cette saison rappelle que même en l’absence d’impact direct, les risques demeurent élevés et les pertes peuvent être importantes. La vigilance, la préparation, la prévention et la résilience doivent rester au cœur de notre action collective. Nous devons renforcer nos systèmes, éduquer nos communautés et moderniser nos outils afin de mieux protéger notre population. La nature a parlé en 2025 : elle nous rappelle notre vulnérabilité, mais aussi notre capacité à nous adapter si nous agissons dès maintenant avec détermination et intelligence.
Talot BERTRAND, Ing-Agr.
Spécialiste en Education Relative à l’Environnement
Directeur National de Haiti-METEO
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